27

Ils suivirent la BMW à l’est jusqu’au bout de la vallée de San Fernando, Pike regardant Cole et Jon Stone se relayer dans son sillage. L’encaisseur maintenait une vitesse stable, pas plus pressé que ça d’arriver à destination. L’idée d’expliquer à ses chefs ce qui venait d’arriver à l’argent de Darko ne l’emballait visiblement pas.

Ils continuèrent sur l’autoroute de Ventura après la fourche de Hollywood mais la quittèrent dès la sortie suivante. Ils remontèrent ensuite par Vineland Avenue entre les galeries commerciales vieillissantes de Hollywood Nord. Cole se rapprocha de la BMW juste après la sortie de l’autoroute, en même temps que Jon décrochait. Dix minutes plus tard, la voix de Cole s’élevait dans l’oreillette de Pike :

— Ça clignote. Il va tourner un peu plus haut sur Victory.

Ni Pike ni Stone ne répondit.

Trois minutes plus tard, Cole parla à nouveau :

— Encore un changement de direction. Il s’apprête à entrer sur le parking d’un bar, le Glo-Room. On va passer devant et se garer dans la première transversale.

— Hmmm, commenta Stone. Des strip-teaseuses.

Deux blocs plus loin, Pike entraperçut la BMW qui négociait son virage.

— Elle connaît ce bar ? demanda-t-il à Cole.

— Elle en a entendu parler, mais elle n’est jamais entrée. Ça fait partie des adresses qu’elle m’a citées.

En passant, Pike repéra la décapotable de Vasa garée sur l’étroit parking latéral d’un bâtiment de plain-pied peint en noir, glo-room – club pour messieurs, disait l’enseigne plantée au sommet d’un poteau devant le bar. Pike poursuivit jusqu’à la première rue transversale, où il rejoignit les deux autres voitures. Cole et Rina avaient déjà pris place dans le Rover de Stone. Pike se gara derrière eux et monta à l’avant du 4 x 4. Stone redémarra sur-le-champ et s’engagea dans une allée de service qui séparait l’arrière de la rangée de commerces d’une enfilade de places de stationnement ponctuées de locaux à poubelles.

— Arrêtez-vous avant, dit Pike.

Stone immobilisa le Rover trois portes avant le bar, à la hauteur d’une animalerie. Une camionnette de livraison blanche était parquée derrière le Glo-Room, et la seule personne visible était un Latino d’âge moyen, au tee-shirt blanc plein de taches. Planté entre la camionnette et le bâtiment, il grillait une cigarette.

Pike se retourna vers Rina.

— Ce bar est à Darko ?

— Il appartient à un de ses hommes, mais oui, on peut dire qu’il est à Michael. L’argent finit dans sa poche.

— Vous connaissez les gens qui travaillent ici ?

Elle secoua la tête.

— Non, je ne crois pas. J’ai entendu parler de cet endroit, mais je n’y suis jamais entrée. Michael a trois ou quatre bars de ce genre-là. Peut-être plus.

Ils se remirent en mouvement et dépassèrent au ralenti la camionnette de livraison. Ayant atteint la rue suivante, ils firent demi-tour puis revinrent en sens inverse. Ils se garèrent de nouveau lorsqu’ils trouvèrent un endroit d’où ils avaient une vue dégagée à la fois sur le parking latéral du bar et sur sa porte de service. Celle-ci était entrouverte, mais la camionnette les empêchait de voir à l’intérieur. Côté parking, la BMW était garée devant une porte qui semblait constituer l’entrée principale du bar, en compagnie d’une Audi anthracite et d’une Mercedes gris métallisé ; trois hommes se tenaient debout devant cette porte. Deux d’entre eux étaient très corpulents et vêtus de chemises amples que tendaient leurs bedaines. Le troisième, plus jeune, avait des muscles saillants et de larges épaules.

Pike tourna la tête vers Rina.

— Vous les connaissez ?

— Celui du milieu, je l’ai déjà vu, je crois. Les autres non, c’est sûr.

L’intéressé portait des chaînes en or autour du cou et semblait le centre de l’attention.

— Vous avez vu ? dit Stone.

Pike hocha la tête.

— Vu quoi ? demanda Rina.

— Monsieur Muscle, répondit Cole. Il a un flingue à la ceinture.

Une fois la conversation terminée, les deux types corpulents regagnèrent l’intérieur du bar pendant que le baraqué se dirigeait vers la camionnette de livraison. Il assena deux coups de paume à la carrosserie et s’écarta juste avant que les portières arrière ne s’ouvrent. Un colosse au ventre monumental en descendit. Une forêt de poils noirs lui couvrait les bras et le cou. Il souleva trois caisses de Budweiser et les transporta dans le bar. Le costaud se pencha à l’intérieur de la camionnette, en retira trois autres caisses, et disparut dans le sillage du colosse.

— Ils revendent de la bière volée, vous voyez ? dit Rina. Michael en achète une partie. Ses hommes lui piquent le reste.

Cela confirmait la description de George. Darko revendait les marchandises dérobées par ses équipes de pirates de la route. L’alcool alimentait ses clubs. Le reste atterrissait chez des receleurs ou sur le marché de l’occasion.

Pike tapota la cuisse de Jon, qui redémarra pour les ramener à leurs véhicules. Tout s’enchaîna très vite après leur brève reconnaissance, conformément au souhait de Pike. La vitesse était un élément clé. Dans les confrontations armées, c’est elle qui faisait la différence entre la vie et la mort.

Cole quitta illico les lieux avec Rina. Stone redémarra aussi, mais uniquement pour se positionner à l’avant du bar et préparer son approche. Pike remonta dans sa Jeep, avança au ralenti dans l’allée et stoppa à hauteur du bar. Quelqu’un avait refermé la camionnette et la porte de service, mais le verrou de celle-ci n’était pas mis.

Il composa le numéro abrégé de Jon Stone.

— Go, lâcha celui-ci.

Pike rangea son portable, poussa la porte, et se retrouva dans un couloir encombré de piles de caisses. Une réserve sur sa gauche était elle aussi pleine de bières en bouteilles ou en tonnelets, d’alcools forts et de provisions diverses, tandis qu’un local minuscule faisant à la fois office de cuisine et de salle de plonge s’ouvrait sur sa droite. Penché au-dessus d’un évier de dimensions industrielles, le Latino qu’ils avaient vu fumer tout à l’heure dans l’allée de service leva sur lui ses yeux fatigués. Pike franchit le seuil et annonça calmement :

— Police. On va arrêter tout le monde, mais vous pouvez partir. Immédiatement.

Un bref regard à Pike, et l’homme n’hésita pas. Il posa sa serviette, le contourna comme il put et quitta les lieux sans demander son reste. Pike verrouilla la porte extérieure derrière lui.

Un peu plus loin dans le couloir, il découvrit un petit vestiaire pour les danseuses, deux W-C, et une porte battante. Les W-C et le vestiaire étaient vides. Le vestiaire empestait le moisi. Des voix s’élevaient dans le club, mais pas de musique ni aucun autre son.

Pike poussa la porte battante. La salle était éclairée, la scène déserte, la sono muette. Les trois types du parking étaient regroupés autour d’une table en compagnie d’un quatrième individu et de Vasa, qui pressait une serviette mouillée contre son visage. Le colosse velu, penché derrière le comptoir, installait un tonnelet à pression. Pike était entré si discrètement que les hommes attablés n’avaient rien entendu, mais le colosse le vit bouger et se redressa.

— C’est fermé, dit-il. Vous allez devoir partir.

À la table, toutes les têtes se tournèrent. Vasa vit Pike et se leva d’un bond, comme si quelqu’un venait de lui botter les fesses.

— C’est lui ! C’est le putain d’enfoiré qui…

Les quatre autres restèrent immobiles à leur table. Le costaud ne tendit même pas la main vers son flingue.

— Je cherche Michael Darko, dit Pike.

Le plus âgé de la bande était un type de forte carrure, aux os épais et aux yeux minuscules. Trois de ces quatre hommes portaient des chemises à manches courtes, qui révélaient pour deux d’entre eux des tatouages de taulards réalisés dans leur pays d’origine.

— Je n’ai jamais entendu parler de cette personne, rétorqua le plus âgé. Vous vous trompez d’adresse.

Deux pochettes à billets en vinyle identiques à celles que Pike avait prises à Vasa étaient posées sur le comptoir, près d’une serviette en cuir marron. Laissées là comme si quelqu’un avait été interrompu en plein travail par l’arrivée précipitée de Vasa. En voyant Pike marcher vers le comptoir, le costaud se leva.

— Foutez le camp d’ici.

Au moment où Pike atteignait l’extrémité du comptoir, le colosse posté derrière le bar repoussa son tonnelet de bière et chargea. Il écarta les avant-bras comme un deuxième ligne prêt à bloquer un trois quarts centre, mais Pike fit un pas de côté, lui baissa le coude, l’attrapa par la nuque et le projeta violemment au sol. Un quart de seconde après ce premier contact, Pike était déjà debout ; il vit le costaud courir vers lui au ralenti et les trois autres sauter de leurs chaises, encore plus lentement.

Le costaud passa la main droite sous sa chemise avant d’arriver sur lui. Pike ne tenta pas de le désarmer ; il glissa une main sous son poignet, lui rabattit le bras en arrière et le fit tomber sur le dos. L’arme se retrouva dans sa main avant même que l’homme se soit écrasé au sol ; Pike lui envoya deux coups de canon sur le front pendant que la voix de Jon Stone transperçait la pénombre :

— Haut les mains, bande de rats !

Les trois individus figés autour de la table obtempérèrent.

Jon Stone, immobile sur le seuil, brandissait une carabine M4 joliment décorée d’un camouflage de désert peint à la main. Sans jamais quitter les trois hommes des yeux, il referma puis verrouilla la porte d’entrée du bar, bouclant le périmètre.

— Depuis le temps que je rêvais de dire un truc comme ça, glissa-t-il en souriant à Pike.

Ce dernier déchargea le pistolet du costaud et lui fit les poches.

— Vous voulez quoi ? fit l’homme aux chaînes en or.

Stone s’avança. Son sourire s’était soudain évanoui, laissant place au masque fermé du combattant d’élite.

— Ta gueule, salope. Tu parleras quand on s’adressera à toi.

Après avoir récupéré sur le gorille un portefeuille, des clés et un portable, Pike s’écarta. Il pointa le pistolet vers le sol.

— À genoux. Les doigts croisés derrière la nuque.

Stone faucha d’un coup de pied l’homme le plus proche de lui, et les autres s’empressèrent de prendre la position requise.

Pike revint vers le colosse. Ses yeux ouverts regardaient dans le vague, et il n’esquissa pas un geste pour se relever. Pike trouva sur lui un joli petit pistolet de calibre 40. Il déposa son butin sur le bar à côté des pochettes en vinyle puis s’approcha des prisonniers de Stone et les fouilla à leur tour. Aucun n’était armé, et aucun ne protesta quand il leur vida les poches.

Après la fouille, Pike revint au bar et examina les pochettes en vinyle. Elles étaient pleines de billets. Il ouvrit la serviette. Encore de l’argent, un boîtier en métal servant à pirater des données de cartes bancaires, et ce qui ressemblait à une liasse de documents comptables. Il plaça les armes et le reste dans la serviette, la referma, et s’approcha des trois hommes à genoux. Ceux-ci le suivirent des yeux comme s’ils étaient des chats piégés derrière une vitre et lui un oiseau.

— Darko ? fit-il.

Le plus âgé secoua la tête.

— Vous vous trompez.

Derrière eux, Stone parla d’une voix sourde :

— Peut-être que ces fils de pute y étaient. Peut-être que l’un d’eux a buté Frank.

— Tu te rappelles mon nom, Vasa ? demanda Pike.

— Vous êtes Pike.

— Vous êtes surtout un homme mort, grommela le plus âgé.

Stone lui flanqua un grand coup de M4 sur la nuque. L’homme s’écroula comme un sac de linge mouillé, et ne bougea plus. Vasa et l’autre étudièrent un moment sa forme inerte. La peur brillait maintenant dans leurs yeux.

Pike agita la serviette pour qu’ils la voient.

— Tout ce qui était à Darko est à moi, dit-il. Darko est à moi. Ce bar est à moi. Si vous êtes encore là à mon retour, je vous tue.

Le seul gros type encore conscient regarda Pike en plissant les yeux comme s’il était dissimulé par un brouillard.

— Vous êtes cinglé.

— Vous allez fermer ce bar, et tout de suite. À double tour. Dites-lui que j’arrive.

Pike se retira avec la serviette, et Stone le suivit à l’arrière. Ils montèrent dans la Jeep puis contournèrent le bâtiment jusqu’au Rover. Stone ouvrit la serviette. Il écarta les liasses de billets et fronça les sourcils.

— Hé, c’est quoi, cette merde ?

Pike feuilleta les pages qu’il lui tendait, survola les colonnes de chiffres classées par branche d’activité, et prit conscience de ce qu’ils avaient entre les mains.

— Nos prochaines cibles.

Il ouvrit son portable et appela Cole.

Règle N°1
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